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Souvenir de vacances


Optical Sound n°4

commissaires: Pierre Beloüin & Nicolas Ledoux


Parvis du centre Georges-Pompidou / Leroy Merlin Pompidou
Place Georges-Pompidou
75004 Paris



Tuteur, tu redeviendras tuteur


Parvis du Centre Pompidou, Paris, samedi 16 avril 2016.


13h. Scène d'exposition  : le décor, l'intrigue, les personnages.


La file d'attente des visiteurs du Centre Pompidou s'allonge et se réduit comme un accordéon sur le

parvis, les enfants courent après les pigeons, des couples sont assis (1). Les habituels caricaturistes ont

posé leurs pliants et attendent le chaland. Le décor est planté, c'est là qu'interviendra Encastrable.


Le protocole de la performance du 16 avril 2016, intitulée Souvenir de vacances, est résumée ainsi

par les artistes  :


- acheter chez Leroy Merlin Beaubourg un ensemble d'objets  : treillis en bois, sacs de sables,

multiples objets verts...  ;

- réaliser une sculpture en forme de palmier sur le parvis du centre Pompidou  ;

- se faire tirer le portrait à coté du palmier par l'un des caricaturistes du parvis  ;

- démonter et se faire rembourser intégralement l'ensemble des achats chez Leroy Merlin.


Depuis 2008, entre autres expositions, le duo strasbourgeois Encastrable, aka Antoine Lejolivet et

Paul Souviron, braconne dans la grande distribution les matériaux de leurs performances

installations et détourne les têtes de gondole en cimaises. Etablissant d'autorité leurs résidences dans

des magasins de bricolage, ils glanent sur les étalages matières et objets qu'ils assemblent en

sculptures ou installations, à rendre fous les chefs de rayons et étalagistes. Echos aux installations

«  trouvées  », mauvais tours joués aux «  displays produits  », tuning, assemblages, les œuvres

déjouent les innovations des ingénieurs recherche & développement de l'industrie de l'outillage et

dévoilent les qualités sensibles d'objets les plus triviaux. En résistance à la standardisation, à la

«  suggestion de présentation  », aux plus fines ou plus grossières stratégies marketing, les sculptures

éphémères d'Encastrable s'exposent dans les allées avant d'être démontées et mises au repos.


Leroy Merlin, Centre Pompidou  : deux enseignes, deux marques, deux logos intégrés dans

l'imaginaire collectif. Leroy Merlin fournit les artistes en matériaux, le Centre Pompidou fournit le

public en artistes, pour faire court.


Encastrable est le chaînon manquant entre les deux. Ils auraient tout aussi bien pu aller faire leurs

achats au BHV tout proche, rendant ainsi hommage à Marcel D. Mais la proximité géographique

entre Leroy Merlin et le Centre Pompidou était trop belle.

Encastrable pourrait être taxé d'artiste opportuniste, tirant profit d'une disposition «  commerciale  »

de l'enseigne – le retour marchandises – d'une part et de l'affluence habituelle du parvis, public

captif en somme, d'autre part. A y regarder de plus près, il s'agit plutôt d'exploiter le système de la

gratuité, à des fins démonstratives et didactiques  : oeuvrer à partir de la marchandise et de l'espace

public à disposition.


13h30. Acmé  : l'érection de la sculpture

Le palmier, assemblé en quelques minutes, est tiré à grands traits  : un tronc losangé en treillis,

maintenu par des sacs de sable – pour la plage, c'est subtil  ! –, des tuteurs architecturent la tête

coiffée de rideaux de la gamme «  Tropical  ».


Dans l'air du temps des tutoriels et de la transparence des processus de production – le restaurant à

cuisine ouverte en fournit un bon exemple –, Encastrable aime réaliser «  en public  », parfaitement

impudique qu'ils sont par rapport au «  mystère de la création  ». A juste titre, d'ailleurs, puisqu'ils

privilégient le processus à l'oeuvre finie, le chemin au détriment de la destination, la praxis plus que

la poïesis.


14h. Deus ex machina  : l'entrée en scène du caricaturiste


Résumons  : dans quelques minutes, le palmier sera démonté, et son souvenir s'évanouira comme le

mirage d'une oasis dans le désert. Afin de retenir une image, une représentation, pour témoigner

qu'il y avait là de l'art plutôt que rien, Encastrable préfère cette fois à l'habituelle documentation de

la performance – photographies, films, compte-rendu –, de faire aussi appel à un autre «  artiste  »

pour immortaliser la scène. L'un des portraitistes du parvis, choisi pour sa disponibilité, est hélé.

L'angle, la pose, l'arrière-fond du dessin sont discutés avec Encastrable. Le dessinateur s'applique.

«  Au moins, ils auront un dessin  », relève un badaud que l'opération intrigue et amuse.


15h. Epilogue  : le retour marchandises, passage en caisses, remboursement intégral, «  – Pas

satisfait.  »


L'empreinte carbone d'Encastrable est pratiquement nulle, et ce n'est pas la moindre de leur qualité.

Ils ont choisi de ne pas rajouter un objet de plus dans le monde, la sculpture ne viendra pas rejoindre

la collection de plus de 100 000 œuvres du musée national. Ils adoptent une posture de retrait par

rapport à l'inflation des volumes de marchandises produites et échangées, un «  I would prefer not

to... encombrer  ». Pas de stock donc, mais la démonstration qu'un gisement potentiel de fournitures

se trouve à chaque coin de grande enseigne.


Pas un centime non plus n'aura été versé au «  grand capital  ». Il semble que les deux compères ont

une prédilection pour les enseignes-mastodontes, Leroy Merlin en tête, ce qui a peut-être à voir

avec sa place de «  leader de l’aménagement de la maison  » et son actionnaire principal, l'association

familiale Mulliez, l'une des plus grandes fortunes de France, dont les chiffres d'affaire font tourner

la tête (apparemment les déclarations fiscales de certains membres également, mais pas pour les

mêmes raisons...).


Un acte gratuit de sculpture, une performance, à classer parmi les «  living sculptures  », les

sculptures vécues, performées, filmées, photographiées puis évaporées. On retrouve évidemment

dans les actions d'Encastrable les préoccupations marxistes d'Enzo Mari et son Autoprogettazione

ou encore les modes opératoires situationnistes, où la ville devient le théâtre d'actions

spectaculaires, mais aussi des premiers happenings des Nouveaux Réalistes.


Comme partout dans le monde en 2016, quelques passants font des photos, une mère fait poser son

enfant au milieu de la scène, quelques attentifs remarquent qu'il se «  passe quelque chose  ».

C'est sûr, nous voici de retour avec quelques beaux «  Souvenirs de vacances  », à peu de frais. Dire

que d'autres, à quelques centaines de mètres, sur la place de la République, «  travaillent  » à

reconstruire leur QG et préparer la prochaine Nuit debout  ! Même occupation de l'espace public,

même culot à croire qu'un changement est possible. Encastrable poursuit-il un but différent  ? Pas si

sûr...




Laetitia Chauvin, 16 avril 2016, 16h



(1) Que celle ou celui qui sait ce qu'attendent tous ces gens continuellement assis devant

le musée national d'art moderne ait l'amabilité d'écrire à la rédaction.





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